collège Philippe de Vigneulles (Metz)

une jeune fille à Auschwitz, Nadine Heftler témoigne.....


Nadine Heftler est restée 9 semaines au bloc des enfants de Birkenau, où elle est entrée début novembre 1944. Elle avait alors 15 ans.

Son livre, "Si tu t'en sors... Auschwitz, 1944-1945",est le récit des onze mois passés dans les camps nazis et publié tel qu'il a été écrit en 1946, peu après son retour en France, sous la forme d'un dialogue avec ses parents, avec son père dont elle fut séparée immédiatement, avec sa mère qui, épuisée, fut gazée à son arrivée.

Un rapport sur l'emploi des détenus. du 30 août 1944, précise le nombre d'enfants à Auschwitz-Birkenau:
« Au camp de concentration A II, il y avait 619 garçons de 1 mois a 14 ans, dont 187 étaient détenus au camp B I pour les femmes, 204 au camp de quarantaine B II a pour les hommes, 175 au camp B II e pour les hommes. 4 au camp juif B II e pour les hommes et 49 jumeaux destinés à des fins expérimentales au camp-hôpital B II f pour les femmes. Par ailleurs, il y avait un groupe à part de plus de 300 jumeaux sélectionnés comme cobayes pour les expériences du Dr Mengele. De tous ces jumeaux. il n'en restait qu'une centaine en vie a l'évacuation du camp, le 17 janvier 1945. "

(Extrait d'« Enfance Martyre ». Ed. Interpress, 1981 Bibliothèque de l'Amicale)

Le « block d'enfants » de Birkenau était initialement prévu pour recevoir des jumeaux, aryens ou juifs, sur lesquels les Allemands étaient sensés faire des expériences médicales dans l'espoir d'augmenter, à l'infini, le nombre de naissances de la race dite « supérieure ».

"II se trouve que je fus admise dans ce block n° 12 de Birkenau, après avoir été sélectionnée quelques jours auparavant pour la chambre a gaz... Nous sommes à l'automne 1944.


Autour de moi, je ne vois que des enfants de trois à huit ans environ, qui malgré les "Ruhe Kinder" s'interpellent d'un lit à l'autre. On entend aussi les pleurs de certains enfants, qui sont presque encore des nourrissons.

Les enfants sont déjà tous éveillés et excités lorsque retentit le «Aufstehen » qui marque le début de la journée.

Garçons et filles s'habillent le plus vite possible ; ils n'ont certes ni chemise de nuit, ni pyjama, mais suffisamment de couvertures pour enlever leur chandail pendant la nuit. Des enfants de quatre ans s'habillent seuls, mais un autre d'environ un an et demi est aidé par une fillette de douze ou quatorze ans. La solidarité qui existe entre les enfants est touchante. Chaque fillette à partir de l'âge de dix ans « adopte » un enfant plus jeune et s'occupe de lui, tout au long de la journée, pour l'aider à s'habiller, se laver, manger, etc.

Le block en bois, construit sur le modèle des Reviers (
ce qui sert d'infirmerie) est clair, et les deux rangées de coïas à trois étages peints en blanc, alignées de part et d'autre du grand «banc » de pierre qui parcourt toute la largeur du block, sont presque agréables à regarder. Chaque paillasse est recouverte d'une couverture rose, bleue, verte blanche ou jaune, impeccablement pliée aux quatre coins.

Le matin, tout le monde se met en rang. Nous devons être environ deux cents « enfants ». On se rend aux douches tout à côté. Quel plaisir que d'avoir un quart d'heure officiellement consacré à sa toilette! Bien que pour l'instant nous soyons privés de savon et de serviette. II fait très froid, (la neige commence à tomber et l'eau est glacée) ; dans quelques jours on nous distribuera du savon.

Aux fenêtres et aux entrées du « Waschraum », des femmes éperdues font des signes désespérés aux enfants. Ce sont des mères qui ont, avec grande peine, trouvé le moyen de venir embrasser leur cher petit avant de partir au travail. Elles leur disent quelques mots, leur glissent entre les mains un morceau de pain avec une ration de margarine qu'elles ont économisé si difficilement: puis elles repartent s'enfermer dans la neige et le froid.

Et, pour être allées embrasser leur enfant, elles seront battues par une kapo !

L'enfant complètement ahuri par ce flot de paroles que vient de déverser sa mère reste immobile, le morceau de margarine entre les doigts. Sa mère est déjà loin, lorsque, incapable de manger, il reste cloué à terre, les yeux perdus dans un rêve lointain. Essaye-t-il d'imaginer l'enfance à laquelle il a droit? Ou bien, par un grand effort de mémoire, tente-t-il de se rappeler l'époque lointaine, si lointaine qu'il parvient à peine à la revivre, où il essayait de grimper sur les genoux de sa mère?

Peut-être ce petit hongrois revoit-il le champ de blé où il accompagnait ses parents au moment de la moisson? Et cette petite fille allemande aux nattes blondes (les enfants allemands étaient ceux des prostituées et des « droits communs ») essaye-t-elle de se remémorer le trottoir sale, où elle jouait dans un faubourg de Berlin?

Ce petit russe, qui ne doit pas avoir plus de 6 ans, ne se laisse pas impressionner et mord à pleines dents dans un croûton de pain que sa mère, une paysanne, vient de lui apporter en courant. Et ce petit garçon, polonais juif, ne connaît pas ses parents , « il ne sait pas s'il en a...».

En fait, tous ces « enfants » ne sont déjà plus des enfants, et certains ne l'ont probablement jamais été. Ils savent rire, certes, mais leur rire sonne faux. Aucun ne sait jouer, car on ne le leur a pas appris, et ils n'ont pas assez de force pour l'inventer. Ils restent assis pendant des heures au même endroit, sans bouger, sans rien faire. Ils ont un visage pâle et inexpressif, que deux grands yeux noirs et inquiets n'éclairent pas. Pleurer pour eux, est aussi rare, que rire...

Ces enfants, venus d'une Europe entière et qui, par miracle, n'ont pas été brûlés vifs à l'arrivée au camp, se sont retrouvés dans ce block 12 de Birkenau et ne se sont sans doute jamais demandés pourquoi ils se trouvaient là... puisqu'ils n'avaient jamais rien connu d'autre...
"


ce témoignage semble indiquer que les expériences médicales n'avaient plus à Auschwitz fin 1944.